Le conseil, une institution fondamentale
La richesse et la complexité des activités et des relations, au sein de la classe coopérative, nécessitent une organisation sociale réfléchie, la mise en place d’institutions qui répondent aux besoins identifiés par le groupe.
Pour Femand Oury (1), tout ce que le groupe institue en fonction des réalités qu’il vit, peut s’appeler institution : les “lois de la classe”, les fonctions (responsabilités, services…), les rôles (présidence, secrétariat), les statuts de chacun, les équipes, les lieux de parole («quoi de neuf ?», conseils)…
Parmi ces institutions le conseil occupe une place essentielle.
Il est la structure instituante, le lieu d’échange de parole où, ensemble, les membres du groupe analysent les différents aspects de leur vie commune, confrontent leurs points de vue, prennent des décisions et en évaluent
l’application. Son organisation est donc fondamentale. Pour être crédible, il doit être efficace.
Organiser le conseil
“C’est quoi le conseil ? “
“Ça permet de faire respecter les règles, de communiquer les problèmes que l’on a, de parler, de faire des propositions, de trouver des solutions, d’aider ceux qui ont des problèmes… c’est bien car ce n’est pas que le maître qui décide. “
Pour ces enfants, le conseil est bien perçu comme un lieu important d’information, d’analyse, de régulation et d’organisation, où ils partagent le pouvoir collectif avec l’adulte. Ils ont une possibilité réelle d’influer directement sur leurs conditions de vie et de travail. Mais le pouvoir du conseil dépend des capacités de l’enseignant à faire respecter ses décisions : Je ne peux partager que le pouvoir que je détiens moi-même.
Le fonctionnement du conseil
L’analyse du processus d’autogestion à l’école (2) m’a amené à distinguer quatre étapes principales : proposer, discuter, décider, appliquer. (…)
1) Avant le conseil
Chacun, enfant et adulte, a la possibilité d’émettre librement des critiques et de faire des propositions. Toute critique, qu’elle concerne une personne ou le fonctionnement de la classe, est signée. Celui qui l’émet sait qu’il devra la justifier. L’enseignant peut lui aussi être critiqué et aura donc à répondre de ses actes devant le conseil.
Pour Freinet, “lorsque le membre d’une communauté dit publiquement ce qu’il a à dire, si grave que cela soit, il doit être loué pour son courage moral et civique” (3).
Une proposition, pour pouvoir être comprise de tous et faire l’objet d’un débat sérieux, exige une réflexion préalable. L’exigence est évidemment à moduler en fonction des capacités des enfants.
2) Prévoir minutieusement le déroulement
Il n’existe pas de schéma-type de déroulement d’un conseil.. Cependant beaucoup débutent par un rappel et un contrôle des décisions prises lors de la dernière réunion. Ensuite, souvent l’ordre du jour se structure autour de
trois champs principaux :
a. les activités
Le bilan du travail individuel, des ateliers, des activités collectives de la semaine, et l’étude des nouvelles propositions débouchent sur une programmation des projets et la mise au point de l’emploi du temps. Ils impliquent parfois une réorganisation de l’espace, l’acquisition de matériel et un bilan financier de la coopérative.
b. l’organisation matérielle et institutionnelle de la classe
Pour répondre aux besoins, l’organisation de la classe doit être très structurée. Le fonctionnement des équipes, des ateliers, des responsabilités et des diverses institutions est donc soumis à une analyse permanente.
c. la vie du groupe
Le règlement des conflits et des problèmes relationnels, le respect des règles de vie et leur remise en cause éventuelle, constituent aussi une fonction importante du conseil.
Chaque point de l’ordre du jour retenu fait l’objet d’une discussion. Lorsqu’une décision est à prendre et qu’un consensus ne peut être trouvé, un vote a lieu.
La conception pédagogique, l’âge des enfants, le temps imparti au conseil, l’urgence d’une décision, amènent à privilégier parfois un champ plutôt qu’un autre.
3) “La part du maître “
(…) La “part du maitre” est donc un facteur principal dans la réussite mais elle est difficile à apprécier. Elle exige beaucoup d’attention pour respecter les tâtonnements nécessaires tout en évitant les échecs démotivants : laisser
au groupe le maximum d’initiative mais l’accompagner vers son autonomie ; intervenir pour l’aider à clarifier un problème, à choisir une solution, à gérer les perturbations… et refuser, en l’expliquant, les décisions contraires aux finalités, principes et valeurs de la classe.
4) Faire respecter les décisions
Les décisions, aboutissement d’un choix réfléchi et lucide, doivent être appliquées : chacun en est responsable solidairement avec les autres. L’enseignant en est le garant mais les enfants doivent aussi y contribuer en exécutant les tâches prévues et en s’engageant dans les responsabilités dont le besoin a été déterminé. C’est la part coopérative de chacun.
Exercer un pouvoir de décision a pour corollaire le devoir de participer à l’application, chacun à la mesure de ses capacités.
Créer les conditions de la mise en place
Au départ, susciter le désir du conseil, créer le besoin de cette réunion qu’ils ne connaissent pas, faire qu’ils s’interrogent : “Qui c’est l’conseil ?” (4) est une nécessité pour qu’ils s’y engagent pleinement.
Cela peut se faire rapidement ou on peut attendre que les activités qui suscitent l’échange et la coopération soient bien en place.
Un enfant vient rapporter un problème, émettre une proposition, lui répondre “On en parlera au conseil ! “.
Et puis un jour : “Nous nous réunirons en conseil, lundi !”
Ce jour-là, tout est prêt : les chaises en rond, l’ordre du jour, la règle de parole… Le moment est solennel.
“Le conseil est ouvert! Vous avez le droit de dire ce que vous voulez sur la vie de la classe.”
Jean LE GAL
Extrait de Coopérer pour développer la citoyenneté : la classe coopérative. Edition Hatier. Collection Questions d’École.
NOTES :
1) OURY Fernand, VASQUEZ Aïda,. De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Maspero, 1971.
2) LE GAL Jean, “Une aventure autogestionnaire dans le mouvement Freinet“, In Les pédagogies autogestionnaires, Patrick Boumard, Ahmed Lamihi, Ed. Yvan Davy, 1995.
3. FREINET Célestin, L’éducation morale et civique, Bibliothèque de l’École Moderne, 1960.
4. POCHET Catherine, OURY Fernand, Qui c’est l’conseil ?, Maspero, 1979.
